L'évasion de Manon - Extrait

Modifié par Lucieniobey

Nous retournâmes le matin à l’Hôpital. J’avais avec moi, pour Manon, du linge, des bas, etc., et par-dessus mon justaucorps, un surtout qui ne laissait rien voir de trop enflé dans mes poches. Nous ne fûmes qu’un moment dans sa chambre. M. de T*** lui laissa une de ses deux vestes ; je lui donnai mon justaucorps, le surtout me suffisant pour sortir. Il ne se trouva rien de manque à son ajustement, excepté la culotte, que j’avais malheureusement oubliée. L’oubli de cette pièce nécessaire nous eût, sans doute, apprêtés à rire, si l’embarras où il nous mettait eût été moins sérieux. J’étais au désespoir qu’une bagatelle de cette nature fût capable de nous arrêter. Cependant, je pris mon parti, qui fut de sortir moi-même sans culotte. Je laissai la mienne à Manon. Mon surtout était long, et je me mis, à l’aide de quelques épingles, en état de passer décemment à la porte. Le reste du jour me parut d’une longueur insupportable. Enfin, la nuit étant venue, nous nous rendîmes un peu au-dessous de la porte de l’Hôpital, dans un carrosse. Nous n’y fûmes pas longtemps sans voir Manon paraître avec son conducteur. Notre portière étant ouverte, ils montèrent tous deux à l’instant. Je reçus ma chère maîtresse dans mes bras. Elle tremblait comme une feuille. Le cocher me demanda où il fallait toucher. Touche au bout du monde, lui dis-je, et mène-moi quelque part où je ne puisse jamais être séparé de Manon. 

Ce transport, dont je ne fus pas le maître, faillit de m’attirer un fâcheux embarras. Le cocher fit réflexion à mon langage, et lorsque je lui dis ensuite le nom de la rue où nous voulions être conduits, il me répondit qu’il craignait que je ne l’engageasse dans une mauvaise affaire, qu’il voyait bien que ce beau jeune homme, qui s’appelait Manon, était une fille que j’enlevais de l’Hôpital, et qu’il n’était pas d’humeur à se perdre pour l’amour de moi. La délicatesse de ce coquin n’était qu’une envie de me faire payer la voiture plus cher. Nous étions trop près de l’Hôpital pour ne pas filer doux. Tais-toi, lui dis-je, il y a un louis d’or à gagner pour toi. Il m’aurait aidé, après cela, à brûler l’Hôpital même.

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